Formation infirmière - Dispense d’un an de formation pour les aides-soignants expérimentés

Sous certaines conditions, les aides-soignants expérimentés souhaitant intégrer la filière de formation infirmière seront bientôt exemptés de la première année de formation. Un arrêté paru au Journal officiel du 5 juillet détaille les modalités de ce parcours spécifique qui sera ouvert dès la rentrée de septembre prochain dans les quatre régions ayant des Ifsi en proposant une en février.

Aide-soignantParu au Journal officiel le 5 juillet dernier, l’arrêté du 3 juillet 2023 modifiant l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier fixe des modalités d’intégration directe à la deuxième année de formation pour les aides-soignants qui seraient intéressés de poursuivre dans cette voie. Tous ne peuvent toutefois y prétendre. En effet, seuls « les aides-soignants disposant d'une expérience professionnelle en cette qualité d'au moins trois ans à temps plein sur la période des cinq dernières années à la date de sélection et qui ont été sélectionnés par la voie de la formation professionnelle continue, peuvent, à la suite d’un parcours spécifique de formation de trois mois validé, intégrer directement la deuxième année de formation d’infirmier ». En pratique, « pour être éligibles à ce parcours spécifique », ces derniers doivent non seulement « se porter volontaires et être retenus par l’employeur à cette fin » mais aussi « s’acquitter des droits d'inscription auprès de l’établissement d'affectation », selon les modalités applicables aux candidats relevant de la formation professionnelle continue.

« En cas de congé de maladie, de maternité, de paternité ou d'adoption, le bénéfice du parcours spécifique peut être conservé pendant une année supplémentaire. »

C’est en février 2024 que les premiers aides-soignants éligibles à ce parcours devraient intégrer les instituts de formation en soins infirmiers, et ce après un parcours préparatoire de trois mois mis en place dès cet automne. À noter : ce parcours spécifique de formation sera d’abord initié dans les quatre régions ayant des Ifsi proposant une rentrée au mois de février, avant d’être déployé au sein d’autres régions à la rentrée 2024. La Direction générale de l’offre de soins (DGOS) évoque une cible d’environ 1 000 aides-soignants intégrant ce parcours spécifique par an.

Des organisations représentatives de la profession vent debout

Dès la parution du texte, nombre d’organisations représentatives de la profession n’ont pas manqué de réagir. À commencer par la Fédération nationale des étudiant(e)s en sciences infirmières (Fnesi) qui a dénoncé « la mise en place d’une formation à deux vitesses ». Pour celle-ci, « la première année de formation n’est pas une année optionnelle », et ainsi de souligner que si « à la fin de la L1 en soins infirmiers » les étudiants infirmiers ont « la possibilité d’obtenir l’équivalence du diplôme d’aide-soignant·e (AS), la réciproque n’est pas exacte. » Et de rappeler encore que « la profession infirmière ne se résume pas à l'exécution d’actes techniques ; […] elle requiert un véritable raisonnement clinique » dont les bases s’acquièrent justement « lors de la première année ».

Non consultés par la DGOS sur ce sujet, les syndicats libéraux se sont également dit perplexes voire défavorables. Pour la Fédération nationale des infirmiers (FNI), cette mesure « interpelle » : « Faire bénéficier les aides-soignants les plus aguerris d’une dispense totale de la première année de formation en soins infirmiers, pour ceux qui souhaitent devenir IDE, a de quoi interroger. Certes, les heureux élus devront, “pour être éligibles au parcours spécifique, être retenus par leur employeur à cette fin”. Lequel décidera, en somme, de qui est apte ou pas à briguer une telle promotion. Et donc, pour cela, à suivre une sorte de remise à niveau de trois mois. » Si la FNI, comme la plupart des autres organisations, n’est pas contre le fait de favoriser les évolutions de carrière, cela ne doit pas se faire « à n’importe quel prix. […] La passerelle telle que mise en place ici n’est pas faite pour contribuer à la qualité des soins. » Pour le premier syndicat représentatif des infirmiers libéraux, ce n’est donc « ni une bonne chose ni le bon moment ». De son côté, le Sniil se demande « au moment où nous travaillons sur la réingénierie du métier [infirmier] quelle cohérence y a-t-il à rendre l’accès en deuxième année de formation des aides-soignants expérimentés » sachant que « la pénurie des AS est aussi importante et devrait donc s’aggraver dans les années à venir ». Quant à Convergence Infirmière, « en profond désaccord » avec cette mesure qui va « évidemment contribuer à l’affaiblissement de la qualité des soins », a d’ailleurs, avec cinq autres organisations professionnelles et syndicales*, depuis engagé un recours devant le Conseil d’État afin de faire annuler ce parcours spécifique de formation. « Cette décision du gouvernement va à l’encontre de la qualité des soins et entraine une perte de chance pour les patients comme le montre les études internationales », a ainsi souligné Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), en introduction d’une conférence de presse réunissant les six organisations. Et ce dernier de rappeler dans un communiqué de presse du 8 août que « le réfé­ren­tiel d’acti­vité aide-soi­gnant n’est en rien com­pa­ra­ble avec le réfé­ren­tiel de for­ma­tion de la pre­mière année de licence infir­mière en Ifsi. » Ainsi, si « l’acti­vité d’un aide-soi­gnant tourne autour de l’hygiène et de l’accom­pa­gne­ment de la per­sonne, [elle] ne s’appa­rente en aucun cas à ce qui est ensei­gné en pre­mière année uni­ver­si­taire en soins infir­miers, où l’on apprend la métho­do­lo­gie, la bio­lo­gie, la phar­ma­co­lo­gie, les soins d’urgen­ces, les thé­ra­peu­ti­ques et notre contri­bu­tion au diag­nos­tic médi­cal. Une dis­pense d’ensei­gne­ment n’est pos­si­ble que pour les unités d’ensei­­gne­­ment en rela­­tion avec la com­­pé­­tence 3 “Accompagner une per­­sonne dans la réa­­li­­sa­­tion de ses soins quo­­ti­­diens”. Pour le reste, ces per­son­nes n’auront pas l’ensei­gne­ment des fon­da­men­taux, et ris­quent d’avoir un défi­cit de com­pé­ten­ces, qui va nuire à la prise en soins des per­son­nes soi­gnées. » Et d’ajouter encore : « Des cher­cheurs ont exa­­miné les don­­nées de sortie de 275 519 patients post-chi­­rur­­gie de 243 hôpi­­taux en Europe (Belgique, Grande Bretagne, Finlande, Irlande, Espagne, Suisse). L’étude montre que les patients voient leur risque de décès aug­­men­­ter jusqu’à 20% dans cer­­tains ser­­vi­­ces ou établissements où les infir­­miè­­res dûment qua­­li­­fiées ont été rem­­pla­­cées par du per­­son­­nel moins formé. » 

Autre argument invoqué : la mesure va également « à contre-sens des tra­vaux de réforme de la pro­fes­sion infir­mière (décret d’exer­cice, réfé­ren­tiel de com­pé­ten­ces). Depuis 2009, la for­ma­tion infir­mière débou­che sur un grade de licence. Former des per­son­nes en deux ans, sans être for­cé­ment titu­laire du bac, est également à rebours du pro­ces­sus d’uni­ver­si­ta­ri­sa­tion (licence du métier socle, master pour les infir­miè­res spé­cia­li­sées Iade, Ibode, IPDE et IPA). »

Affaire à suivre alors qu’un nouveau ministre est désormais à la tête du ministère de la Santé et de la Prévention.

*L’Association nationale des puéricultrices (ANPDE), le Comité d’entente des écoles préparant aux métiers de l’enfance (Ceepame), le Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec), la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi) et le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI).

Valérie Hedef