Quotas infirmiers/patients : une solution pour retrouver de l’attractivité, tout en assurant la qualité et la sécurité des soins ?

Quotas infirmiers/patientsLa proposition de loi déposée par le sénateur Bernard Jomier qui vise à créer à l'hôpital des « ratios » de soignants par patient et ainsi améliorer la qualité des soins et des conditions d'exercice a été adoptée, en première lecture et ce, avec une forte majorité, le 1er février dernier.
Elle traduit une préconisation de la commission d'enquête sénatoriale sur l'hôpital en 2022. Le rapport de la sénatrice Catherine Deroche recommandait en effet un renforcement significatif des effectifs d’infirmiers et d’aides-soignants, « afin d’améliorer les ratios de patients par soignants » et suggérait, en parallèle, « un mécanisme d’alerte lorsque ces ratios dépasseraient un seuil critique ».

 

« Établir, pour chaque spécialité et type d’activité de soin hospitalier et en tenant compte de la charge de soins associée, un ratio minimal de soignants, par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires, de nature à garantir la qualité et la sécurité des soins. » Proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé

Des normes pour sécuriser les prises en charge

En effet, au-delà de l’augmentation des rémunérations, entamées avec le Ségur de la Santé mais estimées insuffisantes, la définition de ratios plus adaptés entre soignants et soignés est une piste à envisager pour renforcer l’attractivité de l’hôpital. L'Ordre national des infirmiers salue cette décision, rappelant qu'il s'agit là d'une demande formulée dans sa contribution au Ségur et qui garantira « une meilleure qualité et sécurité des soins pour tous » ; une demande par ailleurs largement plébiscitée par la communauté soignante. « Les normes internationales sont de 6 à 8 patients par infirmière, en France nous en sommes au double, au mépris de la qualité des soins », souligne de longue date le représentant du syndicat SNPI, Thierry Amouroux. Rappelant que « pour l’ins­tant en France, ces quotas exis­tent seu­le­ment dans de rares types de ser­vice, comme la réa­ni­ma­tion (deux infir­miers pour cinq patients) et la dia­lyse (un infir­mier pour six patients). »

« Avec des infir­miers sur­char­gés de tra­vail, la mor­ta­lité aug­mente
Si on fait passer de dix à six le nombre de patients à gérer, la mor­ta­lité dimi­nue au contraire de 20 % »*.

Une qualité de vie au travail améliorée

Le gouvernement n’a pas souscrit à la solution proposée par les sénateurs. « Le but est légitime, mais adopter le texte serait contreproductif », a souligné dans l’hémicycle Agnès Firmin Le Bodo, ministre chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, plaidant plutôt pour plus « d'agilité » au niveau des services et craignant « des réorganisations de l’offre de soins avec les effets collatéraux nécessitant des rappels de personnel et des fermetures de lits » compte-tenu de la pénurie de soignants hospitaliers observées aujourd’hui. Cette mesure de ratios soignants/soignés va pourtant nécessairement dans le sens d’une meilleure attractivité des métiers du soin. On sait en effet que la pénurie de soignants hospitaliers n’est pas liée à une simple pénurie de personnels mais plutôt à une chute des valeurs ; des valeurs malmenées par des conditions d’exercice de plus en plus difficiles. Protéger la qualité de vie au travail des infirmiers, des aides-soignants, en sécurisant leur exercice, en leur redonnant le temps de soigner, améliorerait sans aucun doute les recrutements alors même que nombre de nouveaux diplômés hésitent, voir refusent à exercer à l’hôpital.

L’Association Française des Directeurs des Soins (AFDS), et l’Association Nationale des Cadres de santé (ANCIM) reçues au Sénat le 18 janvier 2023 par Laurence Rossignol, rapporteure de la proposition de loi du sénateur Bernard Jomier, ont souhaité, par la voix de leurs présidentes, apporter quelques commentaires et points de vigilance. « Dans un contexte actuel de raréfaction des ressources humaines disponibles, voire de pénurie massive dans certains territoires, des ratios de ce type pourraient avoir l’effet inverse de celui attendu, soit par inadéquation avec le besoin, soit par impossibilité d’accéder à la cible des ratios par manque de professionnels à recruter. » Les deux associations recommandent donc de mener « un travail constructif d’un cadre de références avec recommandation de bornes basses et de bornes hautes par grande catégorie de spécialité ». Elles demandent concomitamment « une réflexion » en lien avec les trois questions : « comment assurer la sécurité et la qualité des soins apportés aux patients tout en garantissant une qualité de vie au travail des personnels soignants ? », « quels sont les éléments d’attractivité et de fidélisation des professionnels de santé ? » et « en quoi l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé résoudra à court terme la pénurie de personnels ? ».

Selon les propos du sénateur Bernard Jomier rapportés dans les colonnes du Quotidien des médecins, « Il y a effectivement déjà des ratios de sécurité réglementaires qui existent, mais uniquement pour certaines activités, comme les soins critiques. Dans les autres services, les ratios sont présents mais d’inspiration… purement financière. Aucun budget d’hôpital n’est construit sans ratios sur la base de référentiels administratifs. Mon constat est que tous les soignants réclament plutôt des ratios qui permettent de garantir la qualité des soins ! »

Voir la réaction de Bernard Jomier suite à l’adoption par le Sénat de sa proposition de loi

 

 

Des ratios établis par décret, pour une durée de 5 ans

Dans le détail, la proposition de loi du sénateur Jomier donne à la Haute Autorité de Santé (HAS) jusqu’au 31 décembre 2024 pour « définir, pour chaque spécialité et type d’activité de soin hospitalier, un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires ». Ces ratios devront « tenir compte de la charge de soins liée à l’activité et pourront distinguer les besoins spécifiques à la spécialisation et à la taille de l’établissement ». Le gouvernement aurait ensuite jusqu’au 1er janvier 2027 pour établir ces ratios par décret, pour une durée de 5 ans. Un délai de deux ans dont le gouvernement pourra tirer profit pour « engager les dynamiques de recrutement et de soutien budgétaire aux établissements qui doivent accompagner le dispositif » selon la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, rapporteur du projet de loi.

Aucune date n'a pour l'heure été fixée pour l'examen en première lecture de la proposition de loi à l'Assemblée nationale.

« Les ratios ne vont certes pas tout résoudre du jour au lendemain mais ils vont permettre d’envoyer un signal fort et une perspective de retour vers des conditions de travail plus acceptables. » Bernard Jomier

Pour aller plus loin

*Source : Registered nurse, heal­th­care sup­port worker, medi­cal staf­fing levels and mor­ta­lity in English hos­pi­tal trusts : a cross-sec­tio­nal study, BMJ Open 2016 ;6:e008751, doi:10.1136/bmjo­pen-2015-008751

Bernadette Gonguet