Rémunérations : des infirmières sous-payées, sous-évaluées et sous-rétribuées par rapport aux hommes

Selon le Conseil international des infirmières (CII), deux rapports sur les salaires et le genre dans le secteur de la santé parus cet été mettent en lumière, partout dans le monde, la sous-évaluation et le sous-financement des soins infirmiers, de même qu’un plus grand écart salarial par rapport aux hommes que dans d’autres secteurs d’activité. Tout en dénonçant ces faits, le CII pointe également les limites des définitions des personnels infirmiers selon l’Organisation internationale du travail (OIT).

RémunérationsLe premier rapport1, à l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Organisation internationale du travail (OIT), se révèle « une analyse de preuves très complètes rassemblées au niveau mondial au sujet de l’écart salarial entre les sexes dans le secteur des soins et de la santé pendant la Covid-19 » indique le CII2. Et d’ajouter : « Le rapport constate que les femmes dans le secteur de la santé et des soins sont confrontées à un écart de rémunération plus important que dans d’autres secteurs économiques, et qu’elles gagnent en moyenne 24% de moins que leurs homologues masculins ». Par rapport à ces derniers aux profils similaires, les femmes sont ainsi « sous-rétribuées pour leurs qualifications professionnelles ».

À ce propos, la France ne semble pas épargnée par ce phénomène. En effet, d’après la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) « le salaire net moyen est inférieur de 21,6% à celui des hommes dans le secteur hospitalier (de 21% dans les hôpitaux publics, de 26,5% dans les cliniques privées non lucratives et de 16,4% dans les cliniques privées lucratives)3. » Toutefois, l’institut de statistiques note que « cet écart de rémunération s’explique en partie par la nature des emplois occupés : en EQTP4, 17% des hommes occupent des postes de la filière médicale – la mieux rémunérée –, contre 6,5% des femmes seulement (dont un peu moins d’un quart en tant que sages-femmes). Les femmes exercent plus souvent des emplois de la filière soignante : 29,9% d’entre elles sont infirmières et 34,9% sont aides-soignantes ou agentes des services hospitaliers, contre respectivement 17,3% et 21,1% des hommes ». Ainsi, le salaire mensuel net moyen dans les établissements de santé français en 2019 toutes catégories socioprofessionnelles et secteurs d’activité confondus est de 2200 euros pour les femmes et de l’ordre de 2812 euros pour les hommes (et de 2051 euros hommes/femmes confondus hors personnel médical)5.

Le second6, rédigé par Women in Global Health (WGH), constate que « plus de six millions de femmes dans le monde sont en train de subventionner les systèmes de santé par le biais de leur travail non rétribué ou sous-rétribué – y compris la profession infirmière, où les femmes sont majoritaires. »

« Investir dans les soins infirmiers et évaluer des modèles de rémunération sexospécifique pour notre profession »

Le sujet de la faible rémunération de la profession infirmière n’est certes pas nouveau. « Les soins infirmiers, une profession à 90% féminine, sont sous-payés depuis toujours. Les professions de soins, comme la nôtre, sont généralement considérées comme un “travail de femme” et donc sous-évaluées, voire pas rétribuées du tout » a ainsi réagi le Dr Pamela Cipriano, présidente du CII. Or, comme l’observe cette dernière, « une rémunération équitable est essentielle pour recruter et fidéliser les membres de notre profession », ce d’autant plus « dans cette période où les conditions de travail sont de plus en plus difficiles en raison de la pandémie de Covid-19 ». Pour rappel, la rémunération moyenne des infirmiers français s’élevait en 2019 à 2301 euros (tous secteurs confondus) et celle de l’ensemble du personnel soignant (cadres de santé, IDE, aides-soignants rééducateurs…) à 2055 euros (+ 0,8% en 2019 après + 0,6% en 2018)3.

Autre obstacle à la carrière des femmes, le manque de souplesse dans les politiques et pratiques de travail. Le CII appelle donc « les systèmes de santé du monde entier à investir dans les soins infirmiers et à évaluer des modèles de rémunération sexospécifique pour notre profession, qui a toujours été à majorité féminine. Les femmes ainsi que les membres de minorités de genre, doivent recevoir un salaire égal pour un travail de valeur égale dans les soins infirmiers et dans le secteur de la santé. »

Quant aux facteurs à l’origine des écarts de rémunération entre les sexes dans le secteur de la santé, le CII constate, d’après le rapport de l’OIT et de l’OMS, que « les raisons pour lesquelles les femmes sont moins bien payées que des hommes aux profils similaires sur le marché du travail de la santé et des soins, partout dans le monde, restent, dans une grande mesure, inexpliquées par les facteurs relatifs au marché du travail. ».

Des personnels infirmiers mal définis par l’OIT

Autre pierre d’achoppement : les définitions concernant les soins infirmiers selon l’OIT qui « ne reflètent ni les réalités de la pratique ni les différences entre les rôles infirmiers ». « Dans ce dernier rapport [celui de l’OIT/OMS– NDLR], seules les infirmières en pratique avancée sont classées comme des infirmières professionnelles ; toutes les autres sont considérées comme des agents techniques. Il s'agit là d'un exemple classique de sous-évaluation de la profession infirmière, en grande majorité féminine. De ce fait, les pays communiquent des données sur la composition de leur main-d'œuvre qui, selon nos membres, déforment, souvent de manière très perceptible, le nombre réel d'infirmières dans leurs différents rôles », explique Howard Catton, directeur général du CII.  Un problème que l’organisation internationale n’a pas manqué de soulever auprès de l'OIT « car il a des conséquences graves sur l'élaboration des politiques nationales et sur la planification des effectifs. » Et Howard Catton d’ajouter encore : « Nous sommes convaincus de la nécessité de revoir ces définitions et de fournir des orientations supplémentaires aux pays pour qu’à l’avenir, le recrutement, la rétention et la planification de la main-d'œuvre infirmière soient fondés sur une compréhension plus précise de la taille et de la composition de cette main-d’œuvre. »

  1. OMS/OIT, “The gender pay gap in the health and care sector: a global analysis in the time of Covid -19”, juillet 2022
  2. CII, communiqué de presse du 14 juillet 2022
  3. Les salaires dans les établissements de santé. In Les établissements de santé, Drees, édition 2022
  4. EQTP : équivalent temps plein
  5. L’impact des premières mesures salariales du Ségur de la santé ne sera visible que sur les statistiques de salaires 2020 précise la Drees.
  6. WGH, “Subsidizing Global Health: Women’s Unpaid Work in Health Systems”, juillet 2022

Valérie HEDEF