Atlas de la démographie médicale : précieux, mais incomplet

Conseils aux nouveaux diplômés à la recherche d'un emploi Les auteurs de l'atlas annuel du Conseil de l'Ordre des médecins confondent médecine libérale et médecine de proximité, ce qui les amène à mener des enqu êtes utiles, mais tronquées.

L'atlas de la démographie médicale1 publié depuis 4 ans par le Conseil national de l'Ordre des médecins est incontestablement un outil précieux. Mais incomplet.

Bien qu'aujourd'hui moins d'un jeune diplômé sur dix envisage de s'installer en libéral, qu'il soit spécialisé en médecine générale ou dans une autre discipline, l'Ordre ne s'intéresse vraiment qu'à ce mode d'exercice, en l'assimilant avec la médecine de proximité, nouvelle dénomination à la mode de la bonne vieille médecine ambulatoire.

Il n'est guère original sur ce point, largement consensuel chez la plupart des observateurs, qui le tiennent pour une évidence.

L'ennui est que les jeunes diplômés, eux, n'en sont pas aussi sûrs. Non qu'ils rejettent ce mode d'exercice, mais ils demandent à voir, ils examinent, ils pèsent le pour et le contre, ils ne se pressent pas de choisir, ils expérimentent en faisant des remplacements, en libéral comme en salarié.

En somme, ils se comportent comme les autres jeunes gens de leur génération qui ont la chance d'avoir un métier pour lequel l'offre est encore largement supérieure à la demande.

Quoique ... tout dépend dans quelle région et dans quel territoire de telle région. Mais précisément ! cela participe aussi du processus de choix, m ême si la plupart s'installeront en définitive là où ils ont obtenu leur doctorat.

Cette année, l'Ordre a concentré son attention sur les remplaçants, dont on peut imaginer qu'ils constituent le gros des troupes des hésitants parmi les jeunes. Chez les moins jeunes, en revanche, le choix est net : il permet de continuer à exercer comme ils l'ont fait pendant toute leur carrière, en exercice isolé ou monodisciplinaire libéral, sans en avoir les inconvénients.

A lire les conclusions de l'Ordre à l'issue d'une enqu ête par questions auprès de remplaçants, les freins à l'installation en libéral sont d'abord constitués par la « charge administrative ».

Vieille litanie d'une profession (ou de ses représentants ?) viscéralement hostile à tout contrôle par l'état ou l'Assurance maladie. Non qu'elle ne repose sur rien, bien entendu, mais quand elle est examinée de près par des enqu êteurs non médecins2, les mots recouvrent une réalité bien plus complexe, ne serait-ce que parce que tout le monde n'entend pas la m ême chose par « charge administrative. »

Mais peu importe ! l'essentiel est l'impression que les réponses sont soufflées par les questions : en dehors de l'exercice libéral, point de salut. Inutile de faire remarquer que la « charge administrative » est moindre et « l'exercice en groupe », qui recueille une large approbation, est favorisé dans ..., mettons les centres de santé. Diable ! un gros mot. Pardon ! les maisons de santé pluridisciplinaires. Ouf ! ça va mieux.

De plus, les questions ne portent que sur l'exercice professionnel, alors que les directeurs de ressources humaines de n'importe quelle entreprise publique ou privée vous expliqueront qu'aujourd'hui, si le travail reste une valeur centrale chez les jeunes gens, du moins chez les jeunes Français, la manière de l'exercer et sa conciliation avec la vie privée sont des éléments centraux de leurs choix.

Il est tentant d'ajouter « surtout chez les jeunes femmes », parce qu'elles constituent aujourd'hui plus de la moitié des médecins de moins de 40 ans. Mais ne soyons pas sexistes à rebourd !

L'important est de remarquer qu'il n'y a aucune raison que les jeunes médecins se comportent différemment des autres jeunes gens à niveau de qualification et de situation sur le marché du travail (encore un gros mot !) équivalents. Et qu'il convient donc de se poser les questions qu'ils se posent : dans quelle école iront mes enfants ? où sont les centres commerciaux ? quels sont les équipements sportifs ou de loisirs « de proximité » ? etc.

établir un panel de questions variées non seulement sur les aspirations professionnelles (à ne pas confondre avec les aspirations à l'exercice libéral), mais aussi sur celles de la conciliation avec la vie privée permettrait sans doute d'imaginer une gamme de solutions adaptées à des profils de postulants mais aussi de « recruteurs » (parmi elles, les collectivités locales) plus efficace que la naïve « incitation financière » ou la redoutée « contrainte d'installation ».

Parmi ces solutions, il y aurait sans nul doute une bonne place faite à l'exercice libéral, classique, aménagé (forfaits, etc) ou panaché avec le salariat. Mais pour cela, il faut d'abord renoncer à de vieilles lunes.

C'est ce qu'a compris le Conseil économique et social régional d'Île de France 3,4, qui propose la création de TPE (très petites entreprises) de santé, ce qui est une bonne façon d'innover, et d'associer les mesures en faveur de l'installation avec les politiques d'aménagement du territoire et de développement économique.

Notes et références

  1. Conseil national de l'Ordre des médecins. Atlas 2010 de la démographie médicale (pdf)
  2. Sous la direction de Géraldine Bloy et François-Xavier Schweyer. Singuliers généralistes. Sociologie de la médecine générale. Presses de l'EHESP, 2010.
  3. CESR Îlde de France. Professionnels de santé : anticiper le risque de pénurie. 21 octobre 2010.
  4. Serge Cannasse. Anticiper la pénurie des professionnels de santé en Île de France. Infirmiers.com (10 novembre 2010)

Paris, 10 décembre 2010

Serge Cannasse
Rédacteur en chef IZEOS
serge.cannasse@izeos.com