Au cinéma – « De Humani Corporis Fabrica » : embarquez pour une incroyable aventure intérieure !

Au service de leur film/documentaire De Humani Corporis Fabrica, la caméra des réalisateurs anthropologues Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor nous propose un voyage sensoriel où le corps, physique mais aussi hospitalier, se dévoile dans son intimité la plus complète. A voir au cinéma depuis le 11 janvier !

De Humani Corporis FabricaIl y a cinq siècles, en 1543, l’anatomiste André Vésale, grand savant de la Renaissance, ouvrait pour la première fois le corps au regard de la science en publiant De Humani Corporis Fabrica, un ouvrage fondateur de l’anatomie et de la chirurgie modernes. Le film documentaire des chercheurs, anthropologues, professeurs à Harvard et cinéastes Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor, en reprend aujourd’hui le titre, ouvrant ainsi le corps au cinéma en nous proposant une plongée étourdissante dans les entrailles du monde hospitalier et de tous les corps qui l’habitent et le traversent ; un voyage sensoriel où le corps, physique mais aussi hospitalier, se dévoile dans son intimité la plus complète. Présenté lors de la Quinzaine des réalisateurs de Cannes 2022, De Humanis Corporis Fabrica est aussi le résultat de sept années d’immersion dans le monde hospitalier.

« De Humani Corporis Fabrica, du nom de l’ouvrage fondateur de l’anatomie et de la chirurgie modernes du grand savant de la Renaissance André Vésale, publié en 1543. »

Pour Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor, le mot « fabrica », sans doute le plus complexe à comprendre dans le titre du film, leur plait par la multiplicité des sens auxquels il renvoie. « Il évoque à la fois une usine, l’endroit où sont produites les conditions et les formes d’action de la médecine hospitalière et de la chirurgie, et la texture, la matérialité des corps – plutôt du côté du mot anglais fabric, “tissu ”, “ trame ”. » Pendant près de deux heures, dans diverses salles d'opération d’hôpitaux du nord parisien, les mini-caméras spécialement conçues des deux cinéastes traversent les organes, fouillant cette curieuse géographie du corps humain, immense et complexe tuyauterie. Le spectateur s'infiltre dans toutes sortes de boyaux, traversant des lacs et des vallées gluantes qui font apparaître de multiples couleurs aux reflets laiteux ou rouge sang. Un paysage à la fois fascinant et peu ragoutant ! « Nous proposons des images robotiques instrumentalisées par les chirurgiens, mais en les dissociant de leur instrumentalité purement médicale, on peut donner à percevoir d’autres aspects, d’autres dimensions. À quoi s’ajoute le son synchrone, ce qui se dit en même temps que ces interventions médicales ont lieu. La présence simultanée des images produites par les robots de vision et des paroles énoncées par les soignants dessine un des territoires ouverts où rien n’est plus assigné à une place unique » soulignent ainsi Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor. Une plongée dans le « corps » médical où s’entremêlent des scènes qui suivent les soignants dans leurs gestes quotidiens et d’incroyables images de l’intérieur de corps opérés, fournies par des caméras de cœlioscopie. C’est aussi pour eux une façon d’interroger la finitude du corps individuel, à la fois par la répétition des actes opérés par les médecins spécialistes, et par l’étendue illimitée de ce sur quoi ouvre l’intérieur de nos corps. « Lorsqu’on dépasse la frontière de la peau, on entrevoit notre infinitude. Les paysages intérieurs que nous avons filmés, ou plutôt les éléments visuels produits par l’imagerie médicale que nous avons transformés en paysages intérieurs en les intégrant au film, sont une des dimensions de cette infinitude. »

« La chair humaine est un paysage inouï qui n’existe que grâce aux regards et aux attentions des autres. Les hôpitaux, lieux de soin et de souffrance, sont des laboratoires qui relient tous les corps du monde… »

De Humani Corporis Fabrica

L’anthropologue Véréna Paravel explique que durant les années de fabrication il lui est arrivé des problèmes de santé importants, qui ont fait qu’à l’hôpital elle n’était plus seulement une anthropologue et une cinéaste, mais aussi une patiente, avec, entre autres, la peur, la souffrance, les attentes longues, l’incertitude… « Cela a transformé ce que je jugeais important de montrer. Nous avions lu énormément de livres et d’articles, sur le corps, sur la médecine, sur la souffrance, sur les systèmes hospitaliers, c’est un très utile travail de documentation et de préparation, mais l’expérience vécue comme patiente bouleverse tout ».

En effet, à l’hôpital, on éprouve plus qu’ailleurs tout autant la fragilité du vivant et la présence de la mort que les extraordinaires ressources qui sont du côté de la vie, la pulsation vitale dans la matière même qui nous compose. « De ce point de vue, l’hôpital est un espace dramatique, ou plutôt tragique, la scène permanente de cette tension extrême poursuit Véréna Paravel. Et bien sûr l’hôpital lui-même est un corps, un corps qui contient des corps et les travaille. Il est lui-même un organe de la société, et à ce titre il en reflète et souvent concentre de nombreuses caractéristiques, tandis qu’à l’intérieur de l’hôpital coexistent des organes, des fonctions, des systèmes. Le film est aussi l’étude anatomique de ce corps-là. »

De Humani Corporis Fabrica est un film qui ne ressemble à aucun autre. C’est une expérience autant inédite que spectaculaire. Les soignants devraient en apprécier l’originalité et cette « vue de l’intérieur » qui leur est proposée, sorte d’envers du décor de ce qui caractérise les pathologies de leurs patients au travers des dysfonctionnements de leurs organes. La mécanique du corps humain et les acteurs qui œuvrent à sa réparation n’en sont que plus bluffants !

Regarder la bande-annonce

• De Humani Corporis Fabrica, un film de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, 118 minutes, au cinéma depuis le 11 janvier 2023.

Bernadette GONGUET