Les infirmiers exerçant en intérim font connaître leurs motivations…

Une meilleure rémunération n’est pas la première motivation des infirmiers qui choisissent d’exercer en intérim. Les impératifs de planning et les difficultés d’organisation de services ou d’établissements sont les deux premières raisons qui ressortent d’une enquête menée par l’Agence d’Emploi des Métiers de Santé (Agems) dont les résultats ont été dévoilés en novembre dernier.

Rappel d’un contexte de fortes tensions sur l’emploi infirmier

Les infirmiers exerçant en intérim font connaître leurs motivationsL’exercice du métier infirmier à l’hôpital manque aujourd’hui cruellement de perspectives. Cela n’est pas nouveau et la tendance s’aggrave après une crise sanitaire qui n’a fait que renforcer des difficultés cumulées au fil des années. L’attractivité n’est pas de mise et certains établissements sont au bord de la rupture, en proie à une pénurie de personnels. Ces derniers épuisés, malmenés, sont en arrêt de travail ou pire, ont quitté l’hôpital. Dans certains services, il manquerait ainsi 40% de paramédicaux et il faudrait embaucher environ 100 000 infirmiers sur 3 ans pour respecter un ratio entre infirmiers et patients réclamé de longue date afin d’exercer dans de meilleures conditions et de manière plus sécure. Le secteur privé subit lui aussi des difficultés structurelles de recrutement et de fidélisation.

Le souhait du Gouvernement « d’encadrer » l’intérim pour les soignants

Pour faire face à la pénurie de soignants dans les hôpitaux français, de nombreux établissements hospitaliers comblent leurs effectifs avec des soignants intérimaires. Cette pratique, historiquement destinée à pallier l’absence inopinée de courte durée, devient problématique et ce choix fait par les soignants vertement critiqué par les tutelles usant de formules telles que « mercenariat », « manque d’éthique » ou encore « drogue douce ». Pour le Gouvernement, « cette pratique en plein essor, dont le coût a bondi de 500 millions d'euros en 2013 à plus de 1,4 milliard en 2018, plombe d'autant les comptes des hôpitaux publics tout en "déstabilisant les équipes" de soins ». Le Gouvernement, lors de la présentation en septembre 2022 du budget de la sécurité sociale 2023, proposait une mesure de "régulation de l'intérim" visant les jeunes soignants "en sortie d'écoles", qui devraient d'abord exercer en salarié ou en libéral "pendant une durée minimale" ; une mesure finalement censurée par le Conseil Constitutionnel fin décembre non pas parce qu’elle est inconstitutionnelle en l’état, mais parce que le Conseil a estimé qu’elle n’avait pas sa place au sein du PLFSS. Il n’y a donc à ce jour pas d’interdiction d’exercice pour les jeunes professionnels de santé, qu’ils soient infirmiers, médecins… Cependant, un certain consensus existant sur cette mesure, il est donc très possible qu’elle apparaisse à nouveau dans un autre projet de loi.

Une enquête auprès des intérimaires infirmiers pour mieux cerner leurs motivations

Dans ce contexte, l’Agence d’emploi des métiers de santé (Agems) a proposé aux infirmiers exerçant en intérim en 2022 de s’exprimer sur ce choix. 1047 infirmières et infirmiers dont l’intérim est le mode d’exercice principal ont été inclus dans cette enquête nationale dont les résultats ont été rendus publics en novembre 2022. Ils se sont donc exprimés, notamment sur leur choix de quitter l’hôpital, leur vision d’une rémunération juste, ou sur les facteurs qui pourraient les encourager à s’engager de nouveau dans un poste à temps plein.

Méthodologie de l'enquête et caractéristiques des enquêtés

• Questionnaire anonyme auto-administré envoyé à l'ensemble des professionnels infirmiers en soins généraux d'AGEMS, actifs en 2022.

• 1143 réponses reçues, 1047 questionnaires exploités.

• La proportion femmes/hommes dans la population infirmière intérimaire est identique à celle de l'ensemble des IDE exerçant en France. En revanche, l'âge est significativement inférieur, avec 32 ans en moyenne contre 41 ans pour les IDE exerçant en milieu hospitalier (Drees 2021).

• L'ancienneté moyenne dans la profession infirmière est de 5,5 ans en moyenne pour les intérimaires AGEMS actifs entre 2020 et 2022.

• Les jeunes diplômés des sessions de mars et juillet 2022 ne représentent que 2,6% de l'effectif global AGEMS.

« L’hôpital public m’a épuisée, l’intérim m’a permis de réapprendre à aimer mon métier pour ses valeurs, sans contrainte »

Les impératifs de planning sources de fuite de l’hôpital…

Selon les statistiques données par l’enquête, 81% des IDE intérimaires ont exercé à temps plein au sein d’un établissement de soins avant de choisir l’intérim. Parmi les motivations qui les ont amenés à cette décision, la rémunération n’est pas le premier facteur énoncé. Ce sont les impératifs de planning qui apparaissent en première intention, suivis par l’organisation du service ou de l’établissement. En effet l’alternance jour/nuit souvent imposée est de moins en moins bien supportée au fil des ans, quant à la nécessité d’un meilleur équilibre temps professionnel/temps personnel (mis en difficulté par des planning d’équipes complexes, des journées de repos peu assurées, des congés différés…), elle sonne aujourd’hui comme une évidence. Alors quelle probabilité de reprendre un poste fixe à temps plein dans un établissement de santé dans le futur ? La tendance dessinée est à 58% positive, avec 35% de « peut-être », 16% de « probablement » et 7% de « certains ». En revanche, les réponses les plus marquées sont davantage négatives : 27% « probablement pas » et 15% « jamais ». Là encore, tout comme les critères de décision de quitter un établissement de santé, la rémunération n’est pas le premier facteur pour y retourner. La nécessité d’un planning adapté est soulignée par une large majorité des infirmiers interrogés, suivi de l’application de ratios IDE/patient, une revendication de longue date de plusieurs organisations infirmières   considérée comme cohérente car liée à la qualité de vie au travail et donc élément d’attractivité majeur. Une proposition de loi « relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé » a été enregistrée au Sénat le 8 novembre dernier et sera examinée courant février 2023. "Instaurer des ratios patient-soignant permet d'améliorer des indicateurs de santé, redonne aux personnels du sens et de la qualité de vie au travail, permet de lutter contre l'épuisement professionnel et constitue un investissement positif en termes financiers", selon le sénateur socialiste Bernard Jomier, à l’initiative de cette proposition de loi.

« J’étais en CDI auparavant mais j’ai des contraintes familiales qui ne sont pas compatibles avec un poste. »

Reprendre un poste fixe : critères de décision

Critères de décision

Quid de l’intérim en sortie d’Ifsi…

19% des IDE intérimaires ont pris la décision d’exercer directement en intérim après leur diplôme. Là encore, la perspective d’une rémunération présentée comme plus attractive n’est pas le premier élément de décision. La « liberté de planning » ressort en première position, immédiatement suivi de la « volonté de découvrir de nouveaux services avant de prendre un poste ». « Ne pas être dans la routine et continuer à apprendre » reste pour ces jeunes diplômés une motivation importante.

« J’étais intéressé par plusieurs spécialités. Si j’avais signé dans un service j’aurais eu envie d’en changer tous les 2 ans. »

Choix de l’intérim en sortie d’Ifsi : les motivations

Critères de décision

Enfin, la question du salaire…

Selon l’Agems, chaque professionnel infirmier a été invité à définir sous forme de question ouverte le salaire brut horaire lui paraissant être le « minimum acceptable », puis le salaire brut horaire considéré comme un « bon salaire. » « La notion de salaire horaire brut a été retenue dans la mesure où la rémunération de chaque mission d’intérim est présentée sous cette forme par les entreprises de travail temporaire. Elle a été convertie en salaire mensuel brut pour 35h hebdomadaires pour la lisibilité de l’enquête ». Voici ce qu’il en ressort :

Salaires

Une vision loin des clichés de « l’infirmier mercenaire » n’ayant pour objectif que l’appât du gain immédiat, à moins de considérer, selon l’Agems « que le souhait d’être rémunéré à environ 1,1 fois le salaire moyen en France (INSEE 2022) pour 3 années d’études est une revendication excessive ». En effet, appliqués à l’ensemble des infirmiers, ces salaires ne feraient que placer la France dans la moyenne OCDE32 en matière de rémunération des infirmiers à l’hôpital par rapport au salaire moyen (Statistiques de l’OCDE sur la santé 2021).

« Ce qui m’a fait quitter l’hôpital : le manque de personnel. Si on me proposait de revenir avec x personnes en plus et un petit plus de salaire ce serait OK »

Bernadette GONGUET