IPA : lever les freins pour déployer la pratique

IPALa pratique avancée pour la profession infirmière occupe toujours les débats cinq ans après son instauration officielle en France par la loi. Plusieurs analyses mettent en effet en évidence la difficile construction d’une profession « à l’exercice fragile » que ce soit sur le terrain hospitalier ou celui de la ville. La Cour des Comptes qui vient de mener une « mission flash » sur le sujet ne dit pas autre chose affirmant « qu’il y a des freins puissants à lever pour le déploiement des infirmiers de pratique avancée ».

« On compte actuellement en France 1650 Infirmiers en Pratique Avancée (IPA) diplômées et 1467 sont actuellement en cours de formation (782 M1 Et 685 M2). Vingt-sept Universités françaises sont accréditées pour dispenser cette formation ».

Les conclusions de « l’audit flash » menée par la Cour des Comptes (1) mettent en évidence plusieurs freins « s’opposant au déploiement de la pratique avancée infirmière » en France. Le ministère de la santé attend pourtant beaucoup des IPA : faciliter l’accès aux soins en répartissant de manière différente la charge de travail entre les infirmiers et les médecins dont la démographie est sous tension, améliorer la prise en charge des maladies chroniques dans le contexte du vieillissement de la population et proposer aux infirmiers de nouvelles perspectives de carrière. Frein fondamental au déploiement de la pratique avancée infirmière, les réticences des médecins. En effet, si le parcours de soins de référence demeure celui de la relation première entre le patient et un médecin généraliste, garant de sa bonne orientation dans le système de santé et rémunéré à l’acte, « lorsque des IPA sont installés en ville, les médecins refusent trop souvent, par méconnaissance ou par crainte de concurrence, d’orienter vers eux des patients atteints de pathologies chroniques, dont l’état de santé relèverait d’un suivi par ces professionnels paramédicaux ». Et de souligner que « le modèle économique ne permet pas aujourd’hui aux IPA libéraux de vivre de leur activité », alors même qu’ils ont consenti un effort de formation important - les études, qui s’inscrivent dans un cadre de formation continue, étant onéreuses.

Début avril 2023, une enquête sociologique menée par l'IRDES (2), étudiait les pratiques des infirmières en pratique avancée (IPA) en soins primaires. En dépit de l’intérêt exprimé pour leur nouvel exercice, toutes décrivaient des difficultés majeures pour construire une activité clinique et investissaient en complément des activités de coordination d’équipe pluriprofessionnelle, ou continuaient en parallèle à exercer en tant qu’infirmière généraliste.

« La notion de « pratique avancée » est ambiguë car elle laisse penser qu’il s’agit de spécialiser à plus haut niveau de technicité la pratique des infirmiers alors qu’il est question d’élargissement et de transversalité des compétences et des responsabilités, enjeu d’une tout autre dimension qui est à l’origine des tensions qui entourent sa mise en œuvre. »

Le ministère : acteur d’émancipation des IPA ?

Face à ces freins, le ministère de la prévention et de la santé a envisagé des inflexions : permettre un « accès direct » des patients aux IPA sans passer par un médecin et accorder aux IPA un droit de première prescription. Une loi récemment promulguée a tranché en faveur de ces évolutions. (3) L’audit flash préconise cependant que « la loi ayant été adoptée, il convient de faire pleinement vivre le métier d’IPA malgré l’opposition persistante d’une partie des médecins. Pour y parvenir, le ministère se doit de répondre aux craintes exprimées, par exemple en définissant des guides ou des référentiels précisant les missions des IPA, ou bien, sur le modèle de certains pays étrangers, en prévoyant des formations complémentaires les préparant au droit de prescrire en première intention ». Selon ses conclusions, de façon plus structurante, au-delà du seul sujet du partage de compétences entre professionnels de santé, « les difficultés rencontrées par les IPA reflètent les limites de la conception du système de santé français, encore marqué par l’exercice isolé de la médecine de ville et la rémunération à l’acte ». Et de souligner que « cette conception doit évoluer, au-delà des inflexions déjà engagées (développement des maisons de santé et des communautés professionnelles territoriales de santé), pour que la coopération entre professionnels de santé devienne la pratique générale. Cela est d’autant plus nécessaire que l’offre de soins de ville continue à se rétracter alors que les besoins croissent et que de nombreux patients ne bénéficient pas de médecin traitant. »

IPA

Si l’intérêt s’affirme au sein de la communauté infirmière pour l’exercice en pratique avancée, deux mots soulignent des attentes qui demeurent fortes : reconnaissance et valorisation.

De son côté, l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (UNIPA) a initié en 2023 deux enquêtes qui montrent la difficulté de reconnaissance et de valorisation de cette pratique, y compris durant sa formation.

De nombreux étudiants (IEPA) expriment* en effet des difficultés d’obtention de stage auprès des praticiens (IPA et médecins), sur tout le territoire, que ce soit en secteur privé ou public ; difficultés reliées selon les résultats de cette enquête « aux manques de clarté des rôles de ce nouvel acteur et à des problématiques organisationnelles ».

Une fois diplômés, les IPA salariés** des secteurs public et privé reçoivent une reconnaissance salariale « insignifiante » et se heurtent à « l’inertie » des institutions. Dans le public, 24% des sondés (26% dans le privé) n’exercent pas leurs nouvelles compétences directement après l’obtention de leur diplôme, alors qu’ils ont bénéficié d’un financement de leur institution.
Pour l’UNIPA, le message est clair : « La méconnaissance de la profession est une nouvelle fois un frein très important, nécessitant un important travail d’explication à l’échelon local, ce qui se complique d’un manque d’anticipation des structures. »

* Focus sur un frein à l’implantation de l’IPA en France : le stage, une enquête de l’UNIPA (28 mai 2023).

** Enquête UNIPA 17 avril 2023 : État des lieux des IPA salariés. (PDF)

1-    « Les infirmiers en pratique avancée : une évolution nécessaire, des freins puissants à lever », audit flash, 5 juillet 2023.
2-    Infirmière en pratique avancée (IPA) en soins primaires : la construction difficile d’une profession à l’exercice fragile, Luan L. et Fournier C. (Irdes). Avec la collaboration d’Afrite A. (Irdes) ; Questions d’économie de la santé n° 277 – Avril 2023 (PDF)
3-    Loi n° 2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification ; JORF n°0099 du 27 avril 2021
Texte n° 1.

Bernadette Gonguet