De la nécessité de repenser le système de soins sur un fondement éthique

De quelle façon la pandémie de Covid-19 a révélé la crise morale de l’hôpital public et la souffrance des professionnels de la santé ? Dans son dernier Avis*, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) analyse la persistance, voire l’aggravation, de certaines inégalités en matière de santé et la crise de confiance de la population. Il s’intéresse aux racines sociales, historiques, économiques et politiques de cette crise morale et, en vue de la rénovation du système de santé, souligne la place déterminante de valeurs éthiques.

De la nécessité de repenser le système de soins sur un fondement éthiqueLes racines de la crise historique traversée par l’hôpital et les soignants en France mais aussi dans nombre de pays ayant des systèmes de santé réputés pourtant comme « solides » sont anciennes et multiples et ce, bien avant la pandémie de Covid-19. Parmi elles, on note une désorganisation du système de soins, une « technicisation » de la pratique soignante privilégiant les actes techniques au détriment du temps de la relation de soin, un vieillissement de la population, un rapport au travail en mutation, des salaires peu élevés au regard de l’engagement demandé et une approche de la santé jugée trop focalisée sur le traitement de la maladie plutôt que sur une prise en charge globale de la personne.

L’avis 140 est centré principalement sur la situation tendue de l’hôpital public qui est « le symptôme le plus saillant de la crise du système de soins »

A une crise structurelle s’ajoute une crise morale aboutissant à une crise globale, « systémique ». Les soignants interrogent le sens profond de leur métier et témoignent d’états « de souffrance éthique » - voire de souffrance psychique - s’estimant contraints d’agir parfois en opposition avec les valeurs éthiques du soin sans espaces pour en parler. Cette « crise du respect du patient » est exprimée en retour par le malade qui se plaint du manque de temps et d’écoute qui lui est consacré. Le CCNE appelle à ce que les métiers du soin, et en particulier ceux qui sont au contact quotidien des patients (techniciens, aides-soignantes et soignants, infirmières et infirmiers), « bénéficient de conditions d’exercice (salaires, qualité de vie au travail, nombre de postes par service, perspectives d’évolution de carrière etc.) qui les rendent attractifs et témoignent de la reconnaissance par la société de la valeur de leur travail ».

« Le temps des soignants croise de moins en moins celui des malades », selon le CCNE. Un patient - par ailleurs citoyen – qu’on n’a pas suffisamment sollicité pendant la pandémie alors que sont en place les outils de la démocratie sanitaire.

Selon le CCNE, et face à cette crise sans précédent, « il est urgent de remettre l’éthique au cœur de la santé ». Et d’affirmer que la réponse à la détresse des soignants comme à celle des usagers « passe nécessairement par le positionnement de l’éthique comme socle et fondement des actions à mener ».

Ainsi, dans cet Avis, la CCNE l’affirme : deux principes éthiques majeurs doivent guider la rénovation qui s’annonce : un accès égal pour tous au système de santé et de soins (principe de justice sociale) et le respect inconditionnel des personnes soignées et de ceux qui les soignent (principe de respect de la personne) ; une vision qui suppose « de réintroduire et de reconnaitre le temps de l’écoute des patients et de développer le temps de la réflexion éthique individuelle et collective pour des orientations et des décisions justes ». Le CCNE propose ainsi que l’éthique sorte des cercles dédiés pour irriguer tous les niveaux du soin, des organisations et des politiques de santé publique, et développer ainsi une culture du questionnement éthique. Et le CCNE d’appeler, in fine, « à l’organisation d’États généraux pour une éthique de la santé publique ».

Si les organisations du système de soins ne sont pas fondées sur le principe du respect des acteurs du système et des bénéficiaires, elles aboutissent à de l’injustice et de l’inégalité et à de la souffrance tant chez les soignants que chez les patients.

*Avis 140 « Repenser le système de soins sur un fondement éthique. Leçons de la crise sanitaire et hospitalière, diagnostic et perspectives », novembre 2022.

Bernadette Gonguet