Tabagisme et risque cardiovasculaire : le rôle central de l'IDET

Depuis quelques années, la connaissance du risque cardiovasculaire en lien avec le tabagisme a considérablement évolué ; grand public et professionnels de santé sont sur la même longueur d’ondes et reconnaissent le tabac comme directement corrélé aux pathologies cardiovasculaires. Au CHU de Limoges par exemple, l’infirmière tabacologue occupe une place centrale dans l’accompagnement des patients concernés au sein du service de cardiologie.

Tabagisme et risque cardiovasculaire

Au sortir d’un épisode cardiaque aigu et au-delà des thérapeutiques physiologiques nécessaires immédiates, le patient se voit orienté vers un parcours de réadaptation cardiaque où il lui est proposé une reprise d’activité physique et un accompagnement de ses facteurs de risques et notamment un soutien renforcé dans le sevrage tabagique.  Pour préparer au mieux cette étape, où les difficultés et les rechutes ne sont pas rares, le rôle d’un professionnel formé comme l’infirmier tabacologue (IDET) est essentiel, comme en témoigne Marie-Laure Boutant, infirmière au sein du Service de cardiologie du CHU de Limoges depuis 2002 et référente tabacologie depuis quatre ans.

 

"Ici, les patients sont parfois ébranlés et les incidents sérieux"

Peur pour leur vie

Les patients que je reçois ont eu vraiment peur pour leur vie, confie l’infirmière. Bien que les patients accueillis en Unité de Réadaptation Cardiaque ambulatoire soient essentiellement des hommes seniors (entre 60 et 70 ans), il n’est pas si rare d’y croiser des personnes bien plus jeunes, et de plus en plus de femmes. Ici, les patients sont parfois ébranlés et les incidents sérieux : infarctus, insuffisance cardiaque… Une période difficile mais parfois propice, davantage qu’une autre, à la prise de conscience, au dialogue, et finalement au sevrage tabagique. En raison des circonstances, la motivation des patients est très haute après un accident aigu; par ailleurs, le sevrage a été imposé par l’hospitalisation, et il faut en profiter pour explorer leur motivation aux changements, a remarqué par expérience Marie-Laure Boutant, titulaire d’un DU d’éducation thérapeutique, d’un autre en tabacologie et membre de l'Association Francophone de Infirmières en Tabacologie et Addictologie (AFIT&A).

Dans tous les cas, c’est le patient qui est acteur de sa guérison et qui trouve SA solution

Chercher l’adhésion

La motivation est à explorer, que ce soit en consultation de dépistage ou en post-aigu. Un point de départ essentiel que l’IDET évalue dès le départ et avec beaucoup de soin pour une approche personnalisée, dans laquelle le soignant s’appuie sur la force du patient. Dès que notre interlocuteur nous tend la perche, nous devons la saisir et lui parler des solutions qui existent pour l’aider, traitements nicotiniques de substitution (TNS) en tête ; dans tous les cas, c’est le patient qui est acteur de sa guérison et qui trouve SA solution. Le soignant ne fait que l’accompagner, observe la référente, pour qui culpabiliser un patient est totalement inutile, car le but est avant tout de chercher son adhésion et d’utiliser à bon escient sa motivation intrinsèque. Par ailleurs, et plusieurs études comme celles publiées dans le BEH du 5 janvier 2021 le montrent, les échecs sont fréquents et il faut souvent plusieurs tentatives pour sortir de l’addiction. Les causes sont multiples : la dépendance physique, les habitudes, le retour à domicile, en particulier si l’entourage est fumeur… Différentes situations qui sont autant de sources de rechute potentielle. Par analogie avec une commode et pour désamorcer sa peur, j’explique au patient que les "tiroirs de son addiction" doivent être comblés un à un pour réussir plus facilement, explique-t-elle.

"A vingt ans, un fumeur est un "fumeur heureux" qui n’hésite pas à prétendre qu’il peut se défaire quand bon lui semble de sa dépendance"

Croyances

Malgré tout, la démarche n’est pas si simple. Après un épisode cardiaque et grâce à l’écoute et à la reformulation éventuelle de l’IDET, le patient a certes une connaissance plutôt fine de sa maladie et des traitements qui lui ont été administrés (pose de stents…). Mais le déni persiste parfois. A vingt ans, un fumeur est un "fumeur heureux" qui n’hésite pas à prétendre qu’il peut se défaire quand bon lui semble de sa dépendance ; le fameux "demain j’arrête", plaisante Marie-Laure Boutant. Or le patient connaît mal les mécanismes d’addiction dont il est prisonnier. Sans compter qu’il diffère le risque qu’il prend à une période ultérieure et qu’il se fonde sur certaines croyances erronées. Un déni qui consiste à croire que ses comportements amoindrissent l’impact de son tabagisme sur sa santé. En consultation, j’entends régulièrement par exemple que fumer des cigarillos de temps à autres est moins mauvais, ou que le tabac à rouler est plus naturel, donc moins nocif ; or la littérature a montré le contraire : l’absence de filtre, le rallumage de mégots… sont encore plus délétères qu’une cigarette classique, rectifie la soignante.

"Marie-Laure Boutant sait qu’elle ne s’arrêtera pas là et projette déjà de mener d’autres actions"

Action interne

De la motivation, il en faut au patient. Mais Marie-Laure Boutant n’en manque pas non plus et son action interne au CHU de Limoges en témoigne. Soutenue par une hiérarchie particulièrement sensible à l’accompagnement au sevrage tabagique, elle a participé à l’élaboration d’un projet échelonné sur trois ans (2019 à 2021) pour améliorer la prise en charge du patient fumeur. Parmi les développements entrepris, des ateliers Web individuels destinés aux patients, que la crise du Covid-19 a rendus pressants et qui pourraient être ouverts à des groupes de candidats au sevrage. Une bonne alternative, selon elle. Ce n’est pas tout : en plus d’une proposition de renforcement de la signalétique hospitalière de nature à ne pas exposer les professionnels de santé fumeurs au regard des patients, Marie-Laure Boutant a soumis des outils nécessaires à une bonne prescription des TNS par les soignants. Hormis les médecins aujourd’hui, les infirmiers, les kinésithérapeutes, mais aussi les sage-femmes et les dentistes sont aptes à prescrire. Mais les substituts sont régulièrement sous-dosés ; le risque d’échec est important. Voilà pourquoi j’ai proposé un flyer d’aide à la prescription des TNS pour les internes et formé une trentaine d’infirmiers du CHU à l’intervention brève en tabacologie, revendique la référente, qui sait qu’elle ne s’arrêtera pas là et qui projette déjà de mener d’autres actions comme le développement de la formation et la poursuite des missions préventives de santé publique.

Anne Perette-FicajaDirectrice des rédactions paramédicales infirmiers.comanne.perette-ficaja@gpsante.fr @aperette